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Le Rituel - Exercice d'écriture #2

des étoffes...

C'est assez drôle, quand j'y pense...

A l'heure où les vrais branleurs ont même repris une onomatopée américaine pour en désigner l'acte, et alors même que notre bagage culturel commun place la référence aux muscles du poignet un peu partout avec ou sans humour, je ne suis plus novice depuis "peu".

Longtemps, je n'ai pas fait usage de la main.

J'ai passé mon enfance et une bonne partie de mon adolescence à me frotter. Sur l'intérieur d'un pantalon, dans mes draps évidemment mais à des endroits bien plus incongrus aussi parfois. Souvent même. J'étais devenu assez expert en tissus. Sans pouvoir les nommer j'étais capable de leur imaginer une destination plus intime.

Si tout le monde avait trouvé très kitsch ce caleçon en soie bordeaux flottant qu'on m'avait offert, moi, qui le trouvais réellement hideux, lui assignais déjà en rêve un autre service. Je l'ai beaucoup porté. J'aimais bien les surprises qui réservait à mon sexe pendant les cours, dans les transports en commun... Je l'ai beaucoup souillé aussi. Volontairement bien sûr. Mais pas seulement.

Et pas seulement lui. Quand les boums étaient heureuses, quand avec ou sans l'aide d'un "action ou vérité" on arrivait enfin à se bécoter dans un coin, pendant un slow, ou tous ensemble sur le même canapé, je volais à ma partenaire bien plus qu'elle ne me donnait. Car il y avait entre son jean, le mien et ma peau ce petit bout de tissu à l'incomparable valeur ajoutée. Je me souviens d'une soirée où on dormait sur place et où mon flirt s'était tellement frotté à mon caleçon aux imprimés de bande-dessinée, au milieu de nos sacs de couchage qui rendaient la scène assez maladroite, avec ses jambes nues autour des miennes, que j'étais venu et qu'on voyait perler sur ses cuisses noires la partie claire du liquide tiède qui avait transpercé l'étoffe.

La matière des sacs de couchage mériterait un texte à elle seule, un livre même. Un livre érotique. Quand on essaie de se dégager d'un moment intense de frottement avec quelqu'un de peur qu'il ne s'arrête trop tôt, c'est souvent le tissu qui nous finit par surprise. Comme la peau à l'intérieur des cuisses des filles. Ça m'a souvent fait plus d'effet que la langue qu'elles ne m'auraient de toutes façons pas donnée à cet âge.

L'enfant connaît bien mieux les matières que le scientifique car il les habite, il les sent. Il pense peut-être qu'elles peuvent le sentir aussi. Ils forment un tout.

J'ai commencé à branler mon sexe à la main vers 18 ou 19 ans je pense. Avec l'arrivée d'internet. Difficile de regarder une vidéo d'une minute trente qui charge en dix avec un modem 56k allongé dans son lit. Les souris n'étaient même pas sans fil. La main c'est la branlette assise, facile. Accessible à tous. Universelle je dirais. Mais ce n'est sûrement pas la première qu'on découvre et la plus pratiquée au début.

Les scientifiques prouvent le développement du cerveau par l'usage de la main chez l'homme. Les philosophes montrent le lien entre le développement de la conscience et son usage.

Je me demande souvent si je n'aurais pas mieux fait de ne jamais trahir (pour finalement l'abandonner) mon fétiche des étoffes. Je serais peut-être resté dans un rapport bien plus inconscient à la masturbation. Alors qu'aujourd'hui je sais ce que je fais.

J'ai 43 ans et je tire encore énormément sur le chibre.

Yardenna Bohn