[Chronique - Erotisme ou Barbarie ?]
L’érotisme questionne toutes les civilisations ; dans la glorification ou dans le refoulement, il tisse un certain type de rapport à la vie, parfois secret et indicible, mais toujours structurant. Il possède le pouvoir d’élaborer du sens autour de cette réalité matérielle des sens, de corseter cette dernière dans le jeu des interdits ou de faire dériver la pulsion vers l’expérimentation subjective. Le ratio entre ce background plus ou moins contraignant de l’éducation et de la morale et cette possibilité d’une expression spontanée est variable au fil des lieux et des époques : flux et reflux en marquent le tempo historique, rien n’étant jamais figé.
A présent, nos sociétés (post)modernes se déclarent permissives, mais sont-elles véritablement productrices d’un érotisme porteur de distanciation, c’est-à-dire de jeu, au sens d’un assemblage mécanique dont on dirait qu’il « branle dans le manche » ?
C’est à ce jeu qu’il faut travailler, pour que l’érotisme se dégage de la logique de la norme (aussi libérale soit-elle) et qu’il devienne fondateur d’un espace social de créativité, d’esthétique, d’un espace de l’intime où l’individu devient acteur de ce grand questionnement par l’expression de ses solutions propres, entre abandon à ses pulsions profondes et inventivité conscientisée. Pour cela, il faut affirmer que l’érotisme ne s’épuise pas dans le faire, mais qu’il implique par nature la dérive du voir, du penser, du rêver, du représenter, qu’il ne se sédimente comme culture que dans la variété de ses formes et de ses contenus, à la couture d’un état général des mœurs caractérisé par la tolérance et d’une éthique individuelle de l’ordre de ce que Michel Foucault désignait comme « souci de soi ». Il faut admettre que la liberté qui se peut acquérir dans le sexe ne peut s’exprimer à plein uniquement dans les « autorisations » donnée par notre société sur ce plan mais qu’elle réclame que l’individu l’exerce en tension vers un horizon supérieur ; non pas nécessairement dans l’accumulation des possibles convenus mais dans la conscience totale de ce que le sujet investit de lui et de la relation à l’autre à travers les variations idiosyncratiques que lui et l’autre apportent à ces possibles.